Depuis des générations et des générations, nul n'avait vu de majestueux animaux parcourir le Ciel. Requins, baleines, raies, orques... Tous étaient considérés comme les enfants ou les messagers des Esprits, envoyés dans le ciel des hommes pour leur servir de guides et de nourriture. Car en dépit de leur caractère à demi sacré, jamais les marins ne se gênèrent pour chasser et tuer ces animaux, jamais les habitants des archipels ne furent troublés d'acheter de la nourriture ou des produits issus de cette chasse.
Fut-ce la chasse ? La guerre meurtrière ? La volonté des Esprits ? Toujours est-il que tous les grands animaux disparurent des cieux, laissant les bancs de poissons et les colonies d'oiseaux proliférer. Au début, tous croyaient qu'ils reviendraient dès que la situation se serait améliorée. Dès que la population se serait reconstituée, loin de la chasse. Dès que la guerre serait finie. Dès que les Esprits se seraient apaisés.
Les siècles passèrent, et ils ne revinrent pas.
Alors les peuples se résignèrent, acceptèrent l'idée qu'un âge s'était terminé, l'âge des grands animaux du ciel. Et, progressivement, plus personne ne leva le visage vers le ciel dans l'espoir d'apercevoir leur ombre. Leur souvenir continuait néanmoins à vivre dans les mémoires et dans les récits, et nul n'ignorait que les Esprits avaient auparavant peuplé leur ciel de tels êtres.
Un jour, une rumeur apparut.
Un jeune garçon de bonne famille, accompagné par son Khamsien, prenait l'air sur le pont d'un navire, au milieu de la nuit, alors qu'ils traversaient l'Océan central. Et là, alors qu'ils étaient accoudés au bastingage pour observer les étoiles, un bruit leur parvint. Une note cristalline, qui vibra dans l'air avant de s'éteindre peu à peu.
Ils se figèrent, regardant en tous sens pour voir ce qui émettait un si beau son. Mais ils ne virent rien, alors que la note revenait pourtant, régulièrement, comme un appel lancinant auquel nul ne répondait. Leur cœur battait violemment dans leur poitrine, et il leur semblait ne jamais avoir rien entendu de si beau, harmonieux et mélodieux.
Alors ils surent, comme si les Esprits leur avaient parlé.
Ils venaient d'entendre le chant d'une baleine céleste. Et, à présent qu'ils savaient, ils distinguèrent même sa silhouette, au loin, au milieu d'un amas de nuages qu'ils avaient scruté, quelques secondes auparavant, sans y voir autre chose que des formes abstraites. Leurs cœurs étaient trop exaltés pour qu'ils puissent envisager de retourner dormir, ils se sentaient comme sous le charme de ce qu'ils voyaient et de ce qu'ils entendaient.
Lorsque le soleil se leva, le charme se rompit, et ils appelèrent à grands cris tous ceux qui se trouvaient sur le pont. La baleine s'était évanouie dans les nuages aux premiers rayons du soleil, mais ils racontèrent leur aventure à tous, membre de l'équipage comme passagers. Nul autre qu'eux n'avait entendu ces sons. Certains les crurent, d'autres les traitèrent de menteurs, d'autres encore pensèrent que leurs sens les avaient abusés.
Mais nombreux furent ceux à partir en quête de la baleine.